Le manga shôjo est souvent mal connu par le grand public, qui l’associe à des histoires romantiques pour adolescents. En réalité, le terme « manga shôjo » (littéralement « manga pour jeunes filles ») désigne simplement les bandes dessinées publiées dans des magazines à destination des lycéennes et généralement écrites par des femmes : il peut s’agir de drames très sombres (La Fenêtre d’Orphée, Claudine de Riyôko Ikeda), de thrillers (Banana Fish d’Akimi Yoshida), de science-fiction (Nous sommes onze ! de Moto Hagio) ou de contes gothiques (Comte Cain, Angel Sanctuary de Kaori Yuki). L’âge d’or du shôjo se situe dans les années 1970, avec des autrices féministes et engagées comme Riyôko Ikeda (La Rose de Versailles) et Moto Hagio (Le Clan des Poe).
Voici nos recommandations de lectures pour mieux connaître l’histoire du manga shôjo. On vous présente un titre emblématique par décennie…
Années 70 : La Rose de Versailles (Lady Oscar) de Riyôko Ikeda
Drame historique – 4 tomes (grand format) / 40 épisodes.

Résumé :
Sixième fille d’un noble qui espérait en vain un héritier, Oscar de Jarjayes a été élevée comme un garçon. À la cour de Versailles, elle est garde du corps et confidente de Marie-Antoinette. Mais la colère du peuple gronde, et la Révolution se rapproche inexorablement… Oscar, dévouée à Marie-Antoinette, choisira-t-elle le camp de la liberté et du progrès en rejoignant les rangs des révolutionnaires ou celui des Nobles ?
Analyse :
Versailles no Bara, connu en France sous le titre Lady Oscar, est une impressionnante fresque historique sur la Révolution française, inspirée de la biographie de Marie-Antoinette de Stefan Zweig. Ce manga est célèbre pour son héroïne travestie et son engagement féministe.
Riyôko Ikeda était en effet membre du « Groupe de l’An 24 » , un cercle littéraire qui réunissait les autrices de shôjo manga inspirées par le mouvement de mai 68. (Qui a eu lieu également au Japon.) Parmi ses membres les plus célèbres, on peut également citer Moto Hagio, pionnière du boys’ love et autrice du Clan des Poe, invitée du festival d’Angoulême en 2024.
Avec ses héroïnes travesties, que l’on retrouve dans presque tous ses mangas, Ikeda défend l’idée assez moderne pour les années 1970 que l’on peut choisir son genre et qu’une femme n’a pas à être cantonnée dans un rôle.
Un shôjo inspiré par la Révolution française :
La Rose de Versailles est extrêmement poignant, tant par sa lente glissée vers la tragédie que par ses rebondissements totalement inattendus. C’est une histoire qui se déroule sur plus de dix ans : les drames personnels de l’héroïne et les histoires de Cour à Versailles s’effacent peu à peu pour laisser place à la Révolution qui se prépare en arrière-plan.
Les autres œuvres de Riyôko Ikeda :
Si vous avez aimé Lady Oscar, nous vous conseillons aussi de lire une autre fresque historique de Riyôko Ikeda, cette fois-ci sur la révolution russe : Orpheus no Mado (La Fenêtre d’Orphée), sur le thème de la musique et de la folie.
Outre ces deux fresques, Riyôko Ikeda écrit aussi Oniisama e (Très cher frère) sur des histoires d’amour entre lycéennes. Et le court drame Claudine qui met en scène un héros transgenre.
Années 80 : Banana Fish d’Akimi Yoshida
Thriller, drame – 10 tomes (grand format) / 24 épisodes.

Résumé :
Le Japonais Eiji débarque à New York pour la première fois. Il y fait la connaissance d’Ash Lynx, un jeune chef de gang qui enquête sur une mystérieuse drogue, appelée « banana fish » : une arme secrète développée pendant la guerre du Vietnam et qui aurait causé l’état végétatif dans lequel se trouve désormais le frère d’Ash. Cette enquête entraîne Ash dans une rébellion contre le chef de mafia Dino Golzine, pour qui il travaillait autrefois…
Analyse :
Ce shôjo se rapproche en fait beaucoup plus du seinen. (Manga pour jeunes adultes, plus violent et plus sombre.)
Banana Fish contient énormément de références à des œuvres d’écrivains américains comme J.D. Salinger et Hemingway. La série met en scène un voyou vivant à New York, tentant de se rebeller contre l’organisation mafieuse pour laquelle il travaille. Banana Fish est également connu pour les sous-entendus romantiques entre les deux héros, l’Américain Ash et le Japonais Eiji.
Années 90 : Sailor Moon de Naoko Takeuchi
Magical girls – 18 tomes (ou 12 tomes en grand format) / 200 épisodes (5 saisons)

Résumé :
Usagi Tsukino croyait être une collégienne ordinaire. Mais lorsqu’elle sauve un petit chat, Luna, celui-ci lui explique qu’elle est une guerrière choisie pour se battre contre les forces du mal ! Usagi va se transformer en super-héroïne et apprendre à utiliser ses pouvoirs…
Analyse :
Sailor Moon est le manga qui a lancé la mode des magical girls. Il reprend tous les codes des mangas shônen (mangas « pour garçons », histoires de combat, d’action) et met en scène des héroïnes qui se battent.
Les mangas de magical girls sont un moyen détourné pour les auteurs de shôjo d’écrire en fait du shônen. Les costumes des magical girls sont inspirés des uniformes scolaires japonais et appuient sur le fait qu’il s’agit de collégiennes banales, capable de devenir des super-héroïnes. Le terme « sailor » renvoie d’ailleurs à l’uniforme japonais de style marin : les « sailor senshi » sont des guerrières en uniforme scolaire.
Années 2000 : Nana d’Ai Yazawa
Tranche de vie – 23 tomes (en pause depuis 2009)

Résumé :
Nana Komatsu est une étudiante naïve et immature, qui redoute avant tout la solitude. Ses préoccupations sont d’intégrer un groupe d’amis et de trouver enfin un garçon bien.
Nana Ôsaki mène une vie libre et poursuit son rêve en chantant dans un groupe de rock. Elle a fui une enfance triste et monotone dans le restaurant de sa grand-mère, mais regrette d’avoir causé au passage le désespoir de cette dernière.
Les deux Nana se rencontrent par hasard dans un train à destination de Tôkyô, où toutes deux veulent démarrer une nouvelle vie, et elle décident d’emménager ensemble. On suit alors les vies de ces deux jeunes femmes que tout oppose, réunies par un prénom : Nana.
Analyse :
Ai Yazawa est passionnée par la mode et par la musique punk, deux thèmes qui se retrouvent souvent dans ses mangas.
Le style « tranche de vie » est plus populaire au Japon qu’à l’international. Nana est cependant l’un des rares mangas du genre qui a réussi à s’imposer à l’étranger. Sa description réaliste du quotidien et de la psychologie des jeunes femmes japonaises, avec leurs rêves et leurs tracas, a su captiver le public au-delà des frontières.
Ce manga met en scène des jeunes femmes indépendantes qui quittent leur famille et cherchent du travail à Tôkyô. S’inscrivant dans la lignée de Riyôko Ikeda, Ai Yazawa n’hésite pas à aborder également des thèmes sombres et porte un regard critique sur la société.
Nos recommandations parmi les mangas actuels…
Voici la sélection de mangas conseillés par la librairie Renard Doré, lors d’une conférence sur le féminisme et la représentation des femmes dans les mangas, en mars 2024.
Arte de Kei Ohkubo (2014) et L’oiseau d’or de Kainis de Kazuki Hata (2022)

Arte raconte le parcours d’une jeune femme qui souhaite devenir artiste peintre à Florence, à l’époque de la Renaissance italienne. L’oiseau d’or de Kainis est l’histoire d’une jeune femme qui se déguise en homme pour pouvoir faire publier ses romans, dans l’Angleterre du XIXème siècle. …Scénario assez réaliste car on sait par exemple que Mary Shelley, l’autrice du célèbre Frankenstein ou le Prométhée moderne, qui vivait à cette époque, avait d’abord dû le faire publier sous le nom de son mari.
Ce thème peut aussi renvoyer aux autrices de shônen comme Hiromi Arakawa (Fullmetal Alchemist) ou Koyoharu Gotôge (Demon Slayer) qui choisissent d’écrire sous des pseudonymes neutres ou masculins, de peur que les lecteurs refusent d’acheter un shônen manga dont l’auteur porte un prénom féminin !
Arte et L’oiseau d’or de Kainis ont pour point commun mettre en scène des héroïnes qui poursuivent avec acharnement un objectif d’ordre professionnel. Ils s’opposent ainsi à la grande majorité des shôjo qui, aujourd’hui, se centrent trop souvent sur des histoires romantiques, avec des héroïnes qui rêvent juste d’épouser le prince charmant…

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